La relation Russie-Occident : des occasions manquées ?

La relation Russie-Occident : des occasions manquées ?
La relation Russie/Occident : des
occasions manquées ? [1]. Sous ce
titre, Françoise Thom, professeur agrégé de Russe et maître de conférences en
histoire contemporaine à l'Université de Paris-IV (Sorbonne) où elle enseigne
l'histoire des Relations Internationales et de la Guerre froide, est une
soviétologue réputée pour ses analyses sans complaisance des régimes soviétique
et post-soviétique. Elle est l'auteur de nombreux ouvrages de référence :
citons, notamment: "Communism :
Newspeak", dont l'édition française "La langue de bois"
est parue en 1987 chez
Julliard; "Le moment Gorbatchev", publié chez Hachette en 1991; "Les fins du
Communisme" en 1994 chez Criterion. Elle a aussi
recueilli, traduit, préfacé et annoté
les mémoires
et les analyses de
Sergo Beria, fils de
Lavrenti,
parues en 1999 sous le titre "Beria,
mon père : au cœur du pouvoir stalinien" chez
Plon (1999). Au moment où se tient le sommet du G8 en Allemagne, cette analyse
est particulièrement d'actualité. © Paris le 7 juin 2007.

Mme Françoise Thom
La
violente diatribe anti-américaine à laquelle le président
Poutine s’est livré à
Munich le 12 février dernier a relancé la fameuse question
« who lost Russia ? » qui vient régulièrement tourmenter les
kremlinologues et les chancelleries occidentales depuis les premières crises de
la Russie post-soviétique. Ce qui est perçu aujourd’hui comme un durcissement de
l’attitude de Moscou est expliqué par des décisions inconsidérées des États-Unis
et des pays de l’OTAN, telle l’installation de bases antimissiles en république
tchèque et en Pologne, qui ravivent le prétendu "sentiment d’insécurité"
traditionnel en Russie. [2]

Le président Poutine lors de la
43ème Conférence sur la Sécurité à Munich
Le raisonnement n’est pas nouveau.
- En 1994-1995, on attribuait le nationalisme croissant de
la politique russe aux bombardements des Serbes par l’OTAN ;
- à partir de 1997 on accuse l’élargissement de l’OTAN ;
- en 1999 la guerre du Kosovo.
- Au printemps 1999, de grands débats eurent lieu outre-Atlantique, comme
celui qui opposa Stephen Cohen à Martin Malia, pour établir les
responsabilités occidentales dans l'évolution russe. Clinton fut accusé
d’avoir « perdu la Russie ».
Tous ces raisonnements reposent sur le présupposé que
l’évolution russe est déterminée par des facteurs externes, qu’elle est une
réaction à des pressions venant de l’extérieur. On ne peut s’empêcher de se
rappeler les discussions qui agitaient les Occidentaux en 1945-46, lorsque les
"colombes" attribuaient les démarches agressives de Staline en Europe centrale
et orientale, en Iran et en Turquie, aux besoins de sécurité de l’URSS, à une
réaction de Staline traumatisé par l’emploi de l’arme nucléaire contre le Japon,
tandis que les "faucons" y voyaient la confirmation de la nature expansionniste
du régime communiste. Aujourd’hui que l’idéologie léniniste n’existe plus, seule
l’hypothèse du "besoin de sécurité" semble expliquer le discours et les postures
offensives émanant du Kremlin.
En effet lorsque l’on se penche sur les années Eltsine, on
s’aperçoit que le glissement de la politique russe vers le nationalisme
néo-soviétique a commencé presque dès le début de la période Eltsine. Même en
1992 et au début de 1993, au moment de la lune de miel russo-américaine, le
partenariat de Moscou avec Washington est perçu comme « le seul moyen pour la
Russie de conserver son statut de grande puissance et même dans une certaine
mesure de superpuissance. » [3] Dès mars 1993 Eltsine
exigeait que « les organisations internationales, y compris l'ONU, reconnaissent
à la Russie des droits particuliers en tant que garante de la paix et de la
stabilité sur le territoire de l'ex-URSS". Le conflit de 1993 entre Eltsine et
la Douma dominée par les « bruns-rouges » fut lourd de conséquences. En effet il
convainquit les partisans du président qu’un système politique à l’occidentale
n’était pas viable en Russie: "Nous devons enfin tirer les conclusions de notre
expérience, qui a montré qu'appliqué à notre réalité russe, le principe de la
division des pouvoirs n'a pas eu d'effet positif, mais plutôt un effet négatif
colossal...", constatait le vice-premier ministre S. Chakhraï, l’un des auteurs
de la constitution eltsinienne adoptée fin 1993, [4] tandis que
V. Kostikov, le porte-parole du président, était d’avis que "la différenciation
politique... risque d'affaiblir le potentiel créateur de la nation". [5]
Les contours du poutinisme étaient déjà visibles lors de la
crise de l’automne 1993, avant les bombardements de l’OTAN en Bosnie, avant
l’élargissement de l’Alliance. Même le très démocrate ministre des Affaires
Etrangères Kozyrev n’était pas sans ambivalences, comme en témoigne sa violente
diatribe anti-occidentale le 14 décembre 1993, qu’il qualifia plus tard de
plaisanterie. En fait cette sortie était une réaction au choc des élections
parlementaires du 12 décembre qui s’étaient traduites par un raz-de-marée des «
bruns-rouges », illustré par le succès de Jirinovski, alors que les
réformateurs n'obtenaient que 16% des voix. La décommunisation timidement
entamée avorta. Le procès contre le PCUS tourna en eau de boudin, le
démantèlement du KGB voulu par Eltsine ne parvint pas à éradiquer la pieuvre,
comme la suite le prouva amplement. Ces élections montrèrent que les
douloureuses réformes eltsiniennes avaient fourni un appui dans la population au
bloc communo-patriotique, ce dont il était dépourvu à la fin de la période
gorbatchévienne. Le dépeçage de l’économie d’État donna naissance à une élite
rapace et cynique, consciente de la précarité de son pouvoir, méprisant et
craignant la masse misérable qui manifestait derrière les drapeaux rouges au son
des casseroles vides. Eltsine choisit de prendre appui sur cette élite qui lui
devait tout. Cependant l’équilibre politique qui s’instaura après les événements
de l’automne et de l’hiver 1993 ne pouvait qu’être fragile. Les "nouveaux
Russes" étaient conscients qu’ils ne se maintiendraient aux postes de
commandement qu’en donnant des gages aux « bruns-rouges », et c’est dans
le domaine de la politique étrangère que la jonction fut le plus vite apparente.
Il leur fut d’autant plus facile d’adopter les slogans
patriotiques néo-soviétiques qu’eux-mêmes étaient le plus souvent issus des
jeunesses communistes et du KGB. Le ministère des Affaires étrangères fut
progressivement marginalisé, la politique étrangère devint peu à peu l’apanage
du SVR, l’héritier du KGB pour le renseignement et les opérations à l’étranger.
La Douma continua à mener sa propre politique étrangère, maintenant le contact
et les contrats avec les clients traditionnels de l’URSS, entretenant des
relations avec les dictateurs comme Milosevic et Saddam Hussein. Dès 1994 les
États-Unis s’inquiétèrent de voir émerger un axe entre la Russie et l’Iran. En
janvier 1996, Primakov, auparavant chef du SVR, remplaça Kozyrev à la tête du
Ministère des Affaires étrangères. L’ancien KGB prend le contrôle de la
politique étrangère, en attendant de le faire en politique intérieure, ce qui
aura lieu quatre ans plus tard avec l’ascension de Poutine. La politique de
Primakov sera gorbatchévienne en apparence avec une rhétorique de "coopération"
parce que la Russie a besoin de l'aide financière occidentale; mais elle est
soviétique dans le fond: la "multipolarité" primakovienne recouvre la même
volonté de nuire aux États-Unis sur tous les fronts, la même manière de chercher
à dresser l'Europe contre les États-Unis, la même manière de susciter ou
d’attiser des crises au sein de l'OTAN (cf la vente des missiles S-300 à Chypre
en janvier 1997). Pour monter une coalition mondiale anti-américaine sous la
bannière de la "multipolarité" elle est prête à des sacrifices: ainsi en 1997
elle fera des concessions territoriales à la Chine pour étoffer le "partenariat
stratégique" conclu avec Pékin en avril 1996. En 1997 la diplomatie russe
devient véritablement "tous azimuts". Primakov laisse entendre devant une
conférence de l'ASEAN que l'Indonésie et la Malaisie peuvent prétendre au
leadership de l'ASEAN, en faisant vibrer la corde musulmane et anti-américaine
de ces pays et en les appelant à assumer un rôle mondial. [6]
Il se rend en Amérique Latine et vend des hélicoptères à la Colombie au grand
mécontentement de Washington. La même année la diplomatie russe s’efforce de
cristalliser un noyau anti-américain au sein de l’OTAN et de l’Union Européenne
en créant la Troïka Eltsine-Kohl-Chirac, ce qui sera célébré dans la presse
comme « la première victoire presque inconditionnelle de la Russie en
politique étrangère ». [7] Comme pendant les années 70 la
France intéresse Moscou par sa capacité de nuisance au sein de l’OTAN. Toutefois
la relation avec l’Allemagne est plus importante: d’abord parce que seule une
alliance germano-russe de revers empêchera l’Europe centrale et orientale
d’échapper à l’influence de Moscou - « La pénétration économique de la
plupart des pays d'Europe centrale et orientale n'est possible qu'au moyen d'une
alliance étroite avec l'Allemagne. » [8] Surtout, la Russie
a perçu la résurgence du nationalisme allemand au moment de la crise yougoslave,
et elle escompte une fois de plus pouvoir se servir de ce nationalisme comme
d’un tremplin pour réaliser ses ambitions européennes : « On sent chez les
Allemands le souhait d'acquérir un statut politique en rapport avec leur
puissance économique. […] Plus l'aspiration au leadership s'affirme en
Allemagne, plus ce pays ressentira qu'un partenariat avec la Russie est
indispensable. » [9]
En 1998, la Russie bloquera les sanctions contre l'Inde et le
Pakistan après leurs essais nucléaires, elle multipliera les transferts de
technologie à la Chine, à l'Inde et à l'Iran. A New Delhi Primakov appelle à la
création d'un "triangle stratégique" entre Russie, Inde et Chine. Enfin en
novembre 1999, lors du sommet de l’OSCE à Istanbul Eltsine qui vient de régler
sa succession s’en prend violemment aux Occidentaux : « Ce fut l’un des seuls
discours sincères d’Eltsine en diplomatie », [10] constate
un témoin proche du président russe.
Avec l’arrivée de Poutine le néosoviétisme que nous venons de
décrire en politique étrangère gagna la politique intérieure. Aujourd’hui la
Russie en est à cultiver la nostalgie de l’ère Brejnev. La télévision russe
affectionne le kitsch soviétique des années 70. Le matraquage est efficace : un
sondage récent révèle que 16% seulement des Russes souhaitent une démocratie
libérale à l’occidentale, 26% trouvent leur compte dans le régime autoritaire
actuel et 35% préféreraient un retour au système soviétique. Seuls 10% des
Russes estiment que la Russie fait partie de l’Occident. [11]
La virulence des media à l’égard des Occidentaux (haine des Américains, mépris
des Européens) rappelle les pires moments de la guerre froide. D’ailleurs, les
propagandistes poutiniens en sont à vouloir « améliorer l’image de la Russie »
en s’inspirant des méthodes utilisées à ces fins par l’URSS « qui
s’acquittait fort bien de cette tâche. » [12]
La politique étrangère poutinienne se situe dans la
continuité de la politique primakovienne, mais en plus sournois. Elle semble
suivre à la lettre le conseil donné par un expert russe à l’aube de l’ère
post-eltsinienne, celui de construire « une union stratégique avec l’Eurasie en
cédant le rôle le plus dangereux de concurrent des États-Unis à des pays plus
forts … Toute lutte pour les intérêts nationaux de la Russie ne peut être que
clandestine… La Russie doit avoir recours à la résistance cachée, en s’opposant
à l’ ”agresseur ” de manière à ce que celui-ci ne puisse découvrir sa main dans
les obstacles qu’il rencontre. » [13] La réactivation
des liens avec les vieux clients soviétiques se poursuit. La Russie signe le 10
février 2000 un traité avec la Corée du Nord remplaçant celui de 1961, en
réponse au projet américain de TMD (Theater Missile Defense) contre la menace
nucléaire de Corée du Nord. Le lendemain de la visite du ministre des Affaires
étrangères russe, Pyong Yang annonce qu’il relancera son programme nucléaire
militaire si les États-Unis se décident à réviser le traité ABM de 1972. Moscou
exploite à fond l’opposition des Européens à la décision américaine de réviser
le traité ABM.
Cependant, après les attentats du 11 septembre, la Russie
crut pouvoir retrouver son rôle de « co-dirigeant » de l’ordre international
avec les États-Unis, objectif qu’elle poursuit depuis la fin de l’URSS. Mais
l’administration Bush ayant clairement montré qu’elle n’avait pas besoin
d’alliés, la Russie renoua avec la politique primakovienne, sans prendre les
États-Unis de front, mais en attisant en sous-main les foyers de troubles épars
dans le monde.
A partir de 2005-2006, le comportement de Moscou semble
entrer dans une phase nouvelle. Les pratiques d’abord appliquées en politique
intérieure sont de plus en plus souvent étendues à l’étranger : expropriations,
nationalisations, chantage au pétrole et au gaz, intimidation, corruption,
assassinats d’opposants – la Russie gorgée de pétrodollars se gêne de moins en
moins et jette le masque. L’enlisement des États-Unis en Irak, la multiplication
des points chauds attestant l’impuissance américaine font espérer aux hommes du
Kremlin que le moment où ils pourront forcer Washington à accepter le retour au
condominium des années Nixon n’est plus éloigné : « La politique d'hégémonie
mondiale appliquée par les États-Unis a objectivement échoué, ni l'Amérique ni
l'Europe, leaders mondiaux traditionnels, ne savent comment endiguer les
conflits régionaux en cours, et Moscou aurait tort de ne pas le mettre à profit.
» [14] La situation est d’autant plus favorable qu’après
l’échec du projet de constitution européenne, l’UE semble se défaire à vue d’œil
sous la poussée du nationalisme économique qui se manifeste dans plusieurs
grands États européens. Le discours de Poutine à Munich dénonçant « le monde
unipolaire » était un appel de pied, qui semble avoir été compris à
Washington, puisque la réaction américaine a été étonnamment modérée. Quelques
jours plus tard, de manière significative, Henry Kissinger publiait dans
l’International Herald Tribune un article appelant à restaurer l’entente
russo-américaine en « surmontant certaines des tensions qui ont affaibli la
base de la coopération à long terme » entre les deux pays dont « les
intérêts nationaux sont interdépendants. » [15] Le
raidissement de la position russe à l’égard de l’Iran, s’il se confirme, va dans
le même sens : comme à l’époque soviétique, Moscou peut parfois jouer un rôle
modérateur au Moyen-Orient, à condition d’avoir extorqué aux États-Unis des
concessions plus substantielles dans d’autres domaines. Aujourd’hui que les
États-Unis sont considérablement affaiblis, on peut s’attendre à ce que la
politique étrangère russe se conforme totalement à la matrice de la politique
étrangère soviétique pendant la période brejnévienne. Avec des atouts
supplémentaires considérables : de l’idéologie les Russes ont évacué le boulet
marxiste-léniniste, ne conservant que l’antiaméricanisme infiniment porteur dans
le monde ; au lieu d’une armée rouge décrépite et ruineuse, [16]
ils disposent aujourd’hui de l’arme énergétique. S’ils parviennent à ranger les
producteurs d’hydrocarbures sous leur bannière, à organiser un cartel du gaz
qu’ils domineront, ils tiendront les pays consommateurs à leur merci. La
détention de ressources énergétiques vitales pour les pays occidentaux permettra
à Moscou de se livrer beaucoup plus efficacement à son jeu coutumier, consistant
à encourager le nationalisme chez les uns et les autres de manière à détruire ce
qui reste de la solidarité transatlantique, puis de la solidarité entre
Européens. L’offre de Moscou à l’Allemagne de devenir le "dispatcher" du gaz
russe en Europe a été assortie d’une allusion transparente à l’hégémonie
germano-russe sur le continent que la réalisation de cette offre permettrait
d’établir : « Ces projets ont pour but de transformer l’Allemagne de
consommatrice des ressources énergétiques russes en leur distributrice en
Europe. Ainsi le poids politique et économique de l’Allemagne dans l’UE
augmenterait, ce qui serait avantageux pour Berlin comme pour Moscou .» [17]
Il est tout à fait caractéristique que Poutine ait glorifié le rôle de l’URSS
dans la Seconde Guerre Mondiale en soulignant que la
Russie « avait joué un rôle décisif dans l’échec d’une tentative d’unir
l’Europe par la force » (la résistance soviétique "aux troupes
fascistes" d’Hitler lui semble d’ailleurs le principal titre de la Russie à «
l’européanité. ») |18].
L’article de Poutine que nous venons de citer annonce
clairement que la Russie n’a pas l’intention de reconnaître l’Union Européenne
comme interlocutrice, préférant « des liens à facettes multiples… sur
une base pragmatique .»
Le problème est que la Russie ne poursuit pas des intérêts
nationaux : car comment expliquer dans ce cas que Moscou arme avec diligence les
puissances régionales comme la Chine ou l’Iran qui représentent un péril
beaucoup plus réel pour l’intégrité territoriale russe que l’élargissement de
l’OTAN ou l’installation de quelques bases américaines à la périphérie de
l’empire russe ? Il faut prendre en compte la nature du régime russe pour
expliquer la haine de l’Occident qui inspire le comportement de Moscou sur la
scène internationale. Certes la Russie rêve de devenir le partenaire reconnu des
États-Unis comme elle l’était dans les années 70 ; certes elle rêve toujours de
respectabilité. Mais en même temps elle a besoin d’un ennemi extérieur qui
justifie l’abolition des libertés et la mise au pas de la population russe. La
bureaucratie poutinienne semble avoir peur de son ombre : on dirait que la
moindre opposition peut faire vaciller le pouvoir - comme à l’époque soviétique
où une poignée de dissidents occupaient à plein temps une impressionnante armada
de "kagébistes" zélés. La propagande russe actuelle ne cesse de répéter que
l’opposition est dangereuse car elle est stipendiée par les étrangers qui n’ont
qu’une idée, démembrer la Russie. Un changement de leader ne peut que faire le
jeu de l’étranger : comme « un nouveau repartage sérieux du monde nous
attend, une nation démocratique ne peut pas laisser son leader s'écarter »,
écrit sans rire Gleb Pavlovski, le propagandiste attitré du Kremlin. [19]
Lors de la cérémonie commémorant le septennat de Poutine, les militants des
"Nôtres" (l’organisation de la jeunesse poutinienne) reçurent un formulaire à
remplir. Ils devaient notamment répondre à la question suivante : « Êtes vous
d’accord avec l’opinion selon laquelle si Poutine quittait le pouvoir ou si sa
politique était abandonnée, un 'temps des troubles' s’instaurerait dans le pays
et des suppôts de l’Occident ou des extrémistes s’empareraient du pouvoir ?
» [20] Nous retrouvons la même schizophrénie qu’à l’époque
soviétique : ambition d’être admis à la cour des grands, matraquage xénophobe
systématique dans les media à usage interne.
La Russie aspirait déjà à cette époque à un pouvoir fort
capable de river leur clou aux étrangers malveillants. Ce qui a changé ces
dernières années, c’est la perception du rapport de forces. La Russie se sent de
plus en plus puissante depuis que son adversaire de la guerre froide semble
isolé dans le monde, engagé dans un déclin qu’elle croit irréversible.
L’évolution de la politique russe ne résulte donc pas d’erreurs commises par les
Occidentaux à tel ou tel moment.
Le régime poutinien a besoin d’un ennemi, et dans les
concessions et les ménagements des pays occidentaux il ne voit que des indices
de faiblesse ou de jobardise. La lame de fond néo-soviétique balaye tout sur son
passage. Il s’ensuit que les Occidentaux ont tort de se culpabiliser à propos de
ce qu’ils interprètent comme des "dérives" du pouvoir russe.
Ces "dérives" n’en sont pas. Le passé communiste n’a pas été
surmonté. L’apothéose du KGB sous Poutine en est la preuve la plus visible. La
politique d’endiguement redevient d’actualité : en attendant que le régime russe
se transforme sous la pression de ses faiblesses internes, les Occidentaux
doivent opposer aux ambitions russes un front solidaire et ferme. C’est
seulement lorsqu’il se verra frustré dans ses appétits croissants à l’étranger
que le gouvernement russe desserrera sa poigne mortifère sur ses sujets.
Françoise Thom
[1]
Article paru dans Histoire et Liberté, Les Cahiers d’Histoire
sociale, n°30, printemps 2007, p. 37-44.
[2]
L’article de William Pfaff intitulé « Russia's deep
animosity » paru dans l’International Herald Tribune du 5 mars 2007
offre un exemple typique de cette interprétation du comportement russe.
[3]
E. Roussakov in: Novoe Vremia, nø 14-15, avr 1993.
[4]
Obscaïa Gazeta, nø14, 1993.
[5]
Komsomolskaïa Pravda, 5 novembre 1993.
[6] Obscaïa Gazeta,
nø30, 1997.
[7]
N. Koutchine, Novoe Vremia, n°42, 26 octobre 1997.
[8]
N. Koutchine, Novoe Vremia, n°42, 26 octobre 1997.
[9]
A. Pouchkov, Nezavisimaja Gazeta, 24 octobre 1997.
[10]
Ju. M. Baturin (éd) Epokha Elcina M. 2001 p. 488.
[11]
International Herald Tribune
du 5 mars 2007.
[12] S. Blagov, "Kremlin Moves
to Repair Damaged International Image", Eurasia
Daily Monitor, 26/02/07.
[13] Mikhail Deljagin , "Kto poseet veter,
tot poznet burju," Moskva ,No.9, 1999.
[14]
RIA Novosti, 12/02/07.
(Version
française).
[15]
H. Kissinger, “The
icon and the eagle,”
International Herald
Tribune, 20 mars 2007.
[16]
Ce qui ne veut pas dire que Poutine néglige l’outil militaire : la Russie
dépensera plus de 145 milliards d'euros pour doter ses forces armées et sa
marine d'armes modernes d'ici 2015. V. RIA 9/03/07. En 2007 le budget
militaire augmentera de 23%.
[17] Preobrazenski, « O gaze bez perevodcikov », strana.ru, 10 octobre
2006.
[18]
V. Putin, « Russia is Europe’s natural ally », Sunday Times, 25 mars
2007.
[19]
RIA Novosti, 9/02/07
[20]
A. Goltz, « Krepost nanosit udar », Ezenedelny zurnal, 28 mars
2007.
Lire du même auteur :
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