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La Guinée en proie à des
tensions ethniques
Cette chronique sur les forces
spéciales été publiée dans la
revue Défense.[1] Nous
la reproduisons ici avec l'autorisation de
son auteur,
Pascal Le Pautremat (*). Paris, le 21
décembre
2009.©
Le 22 décembre 2008, le capitaine
Moussa Dadis Camara et ses
partisans du
Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD)
procédaient à un coup d’État promettant un régime résolument démocratique...
Un an plus tard, les faux semblants demeurent et les services
spéciaux semblent bien de la partie.
Début 2009, les Guinéens pouvaient croire en cette junte de
jeunes officiers en vertu d’une prise du pouvoir qui s’était faite sans effusion
de sang, marquée seulement par le limogeage d’officiers supérieurs et généraux
proches du défunt président
Lansana Conté, emporté par une leucémie en décembre
2008. Cela semblait occulter le fait que la Constitution fut conjointement
suspendue. Ce qui, en soit, n’était guère rassurant.

Carte de
Guinée -- Source CIA.
Il fallut la sanglante répression de la manifestation
populaire organisée par le Forum des forces vives, le 28 septembre, au stade de
Conakry, pour que la vraie nature du régime éclate au grand jour. Le
rassemblement populaire dénonçait justement le régime et ses travers. L’armée
n’a pas fait dans la mesure, en tirant sur la foule réunie, usant largement
d’armes létales et procédant avec sauvagerie à des matraquages aveugles, sans
parler des exactions et viols commis par des militaires dans plusieurs
commissariats de la ville ; des actes délibérés qui auraient fait plus de 1 200
blessés et plus de 157 morts – majoritairement peuls – selon l'Organisation
guinéenne de
défense des droits de l'Homme et l’ONU (en octobre 2009). De leur
côté, les autorités du CNDD ont officiellement reconnu la mort de 56 personnes.
Parmi les militaires, on observait la présence d’anciens membres de l’United Liberation Movement of Liberia for Democracy
(ULIMO), vétérans de la guerre civile
au Libéria (1989-1996).
Une partie de l’opposition a été neutralisée ou intimidée au
point que plusieurs de ses représentants ont préféré fuir momentanément le pays,
à l’instar du leader de l'Union des forces démocratiques de Guinée,
Cellu Dalein
Diallo, qui a gagné Dakar grâce à un avion présidentiel sénégalais spécialement
affrété à cet effet.
Les hypothétiques élections de 2010 Alors que la junte
militaire se prépare pour des « élections » en janvier, la Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec le soutien notamment
des États-Unis et de la France, maintient le processus d’embargo sur
l’importation d’armes à destination de la Guinée, et en provenance notamment
d’Ukraine.
C’est dans ce contexte que le régime militaire traversait,
fin 2009, une nouvelle crise interne puisque le leader de la junte au pouvoir,
le capitaine Moussa Dadis Camara, de l’ethnie des
Guerzés, issue des milieux
forestiers Sud-est, était victime, le 3 décembre 2009, d’une tentative de putsch
diligenté par son aide de camp, le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité, dit
Toumba (de l’ethnie des Malinkés), qui lui a même tiré dessus. Dadis Camara,
blessé à la tête, a été soigné au Maroc.
Les dessous de la répression du stade de Conakry, dirigée par
« Toumba » lui-même, semblent avoir lourdement pesé dans les relations
entre les deux hommes, puisque l’évènement avait été marqué par l’assassinat du
chauffeur de Dadis Camara et de son garde du corps.
Dans l’immédiat, retour remarqué à Conakry : c’est Sekouba
Konaté, vice-président et ministre de la Défense, qui assure la gestion du pays
en intérim, avant que Dadis Camara ne prenne la direction d’une purge qui a
toutefois déjà commencé. Il n’est pas exclu que les prochains évènements
subissent des influences extérieures ; surtout lorsque, de source américaine, on
découvre que la junte militaire disposerait de paramilitaires sud-africains et
israéliens, soit une cinquantaine d’hommes au total. Selon le sous-secrétaire
d’État américain aux Affaires africaines, William Fitzgerald, ils auraient été
observés à maintes reprises près de la base militaire de Forécariah, dans
l’ouest du pays, à une centaine de kilomètres de la capitale. Il s’agirait
d’éléments dépêchés par la SMP Omega Strategic Services (OSS) et placés sous les
ordres de Daniel Oosthuizen, ancien membre des Services de police sud-africains
(SAPS). Leur rôle porterait sur la formation et l’encadrement d’une garde
rapprochée, fidèle à Dadis Camara ; une garde constituée exclusivement de
membres de l’ethnie des Guerzés.
Si Dadis Camara, reprend la main, face à Sidiki Diakité, dont
la tête est mise à prix depuis l’attentat de décembre, il n’est pas non plus
exclu que l’on s’oriente vers un affrontement ethnique mettant aux prises les
deux groupes ethniques considérés :
Malinkés et Guerzés.[2]
La crise pourrait alors s’étendre aux pays voisins, les tensions ethniques
déteignent sur les pays voisins comme la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone et le
Liberia où les Guerzés peuvent compter sur l’ethnie apparentée des Kpelle.[3]
Dadis Camara a néanmoins fait savoir, via le ministre guinéen
de la Communication et porte-parole du gouvernement, Idrissa Chérif, que la
tentative d’assassinat avait été diligentée par la France et le jeu des services
secrets…
L’Europe envisage l’adoption de mesures de rétorsion contre
les responsables des crimes et délits commis à l’encontre du peuple guinéen tel
que des interdictions de séjour ou des gels économiques. Quant à la France, elle
a fait savoir qu’elle suspendait sa coopération militaire avec la Guinée et
projette de revoir l’aide bilatérale. Ce qui ne l ’empêche pas de suivre de très
près l’évolution intérieure…
De leur côté, les services spéciaux à caractère privé, dont
la SMP sud-africaine, témoignent de l’intérêt constant pour un pays qui est le
premier producteur mondial de bauxite et qui dispose de gisements confortables.
D’où le renouveau de l’intérêt géopolitique porté à la Guinée, indépendante
depuis 1958. Afin d’éviter une potentielle guerre civile dans le pays, la
CEDEAO
a nommé le président burkinabé,
Blaise Compaoré (en poste de puis 1991), comme
médiateur…
Pascal Le Pautremat (*)
(*) Auditeur à l'Institut des Hautes Études de Défense
Nationale (IHEDN) et Chroniqueur à la revue Défense.
[1]
Défense N°143 daté de Janvier-février 2010. Revue
bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes
Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] En Guinée,
les ethnies les plus représentatives sont les Peuls, soit 40% de la population,
les Soussous et les Malinkés. Les Guerzés, largement majoritaires dans le
sud-est forestier, ne constitue qu’1 % de la population totale estimée à quelque
10 millions d’individus.
[3] Voir la
liste des groupes ethniques d'Afrique.
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