Ban Ki

Ban Ki-Moon, l’homme que
l’on n’attendait pas...
Ce billet de Richard Labévière,
rédacteur en chef de la revue Défense [1] est rediffusé
ici avec l'aimable autorisation de son auteur. Paris, le 26 octobre 2006.©
Illustre
inconnu de la scène internationale, ce haut-fonctionnaire sud-coréen de 62 ans a
été désigné, le 9 octobre dernier, par le Conseil de sécurité pour diriger, à
partir du 1er janvier 2007, le système des Nations unies, et ce pour un premier
mandat de cinq ans qui sera peut-être (comme le veut la tradition) suivi d’une
seconde période.
Ban
Ki-Moon ne s’est lancé dans la course onusienne qu’en février 2006, bien
après les trois autres candidatures asiatiques, l’indien
Shashi Tharoor, le Thaïlandais
Surakiart Sathirathai et le Sri-Lankais
Jayantha
Dhanapala. Washington cherchait plutôt du côté de Singapour mais rien dans
les statuts de l’ONU n’obligeait le Conseil de sécurité à choisir un secrétaire
général asiatique même si, conformément à une règle non écrite de rotation, il
était prévu qu’après l’Afrique ce serait le tour de l’Asie. En soixante ans,
l’ONU a eu trois secrétaires généraux européens (25 ans), deux africains (15
ans) et un seul latino-américain et asiatique (10 ans chacun).
Dans un premier temps la candidature de la présidente de
Lettonie
Vaira Vike-Freiberga aura servi de leurre. En effet, Moscou ne pouvait
permettre qu’un ancien pays balte évidemment pro-atlantique puisse prétendre à
la direction du palais de verre de Manhattan. La Chine, également n’était pas
très enthousiaste mais cette candidature aura obligé les cinq membres permanents
à abattre quelques cartes. Elle aura aussi permis à l’Europe de l’Est (la
nouvelle Europe pour reprendre l’expression lancée par le secrétaire américain à
la défense Donald Rumsfeld en pleine crise irakienne) de consolider son identité
de groupe face à celui de l’autre Europe moins inféodée à l’OTAN. Derrière ce
premier rideau de fumée, l’ambassadeur américain à l’ONU John Bolton a pu
imposer sans problème majeur une règle tout à fait inédite : un candidat unique
pour un seul tour officiel, précédé par autant de tours informels que
nécessaire. Trois autres votes informels ont eu lieu le 14 septembre, le 28
septembre et le 2 octobre, Ban Ki-Moon restant en tête obligeant les autres
candidats à jeter l’éponge.
Concordance des temps, des calendriers et des intérêts : le
14 septembre dernier, le président George Bush reçoit à la Maison Blanche son
homologue sud-coréen
Roh
Moon-Hyun afin d’évoquer le dossier nucléaire de la Corée du nord et…
l’avenir des Nations unies.[2] On
apprend, par ailleurs, de sources très autorisées, que la candidature de Ban Ki-Moon
aurait bénéficié de quelques largesses américaines durant une campagne très
active au Congo, en Tanzanie, en Grèce, en Argentine et dans d’autres pays
membres non permanents du Conseil de sécurité. En ces temps de globalisation
économique et financière, la diplomatie multilatérale est aussi une question de
moyens.
Quoiqu’il en soit, chuchotent quelques diplomates grands
habitués du palais de verre, il n’est pas sain que le secrétaire général soit
ressortissant d’un pays directement impliqué dans une des crises de
prolifération majeure du moment, risquant de faire apparaître le système
multilatéral qui se remet mal de la crise irakienne, comme juge et partie »…
Par ailleurs, celui que l’on surnomme à Séoul « Ban-Chusa
» (Ban le technocrate) aura-t-il le savoir-faire nécessaire pour mener à bien la
modernisation du système onusien, notamment la réforme du Conseil de sécurité,
celle des agences techniques et du budget de l’organisation ?
Au-delà de ces priorités de structure et de fonctionnement
pourra-t-il résister à l’impulsion donnée par le parti républicain américain et
assumée par la nouvelle majorité démocrate qui ont décidé de marginaliser l’Onu
afin de la cantonner à des tâches humanitaires, sinon comme chambre
d’enregistrement et de légitimation des opérations extérieures décidées à la
Maison Blanche ? Telle est la question…
Richard Labévière
[1] Billet du
rédacteur en chef de Défense, N°124, daté de Novembre-décembre 2006, revue bimestrielle de
l'Union des Associations des Auditeurs de l'Institut des Hautes Études de
Défense Nationale (IHEDN), réalisée par des bénévoles, « auditeurs » de l'IH.
Abonnements: BP 41-00445 Armées.
[2] Voir le
Grand dossier du N°124 consacré à la « Les Nations unies et la paix
».
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