Le renseignement d’intérêt maritime (RIMAR)

Le renseignement d’intérêt maritime (RIMAR)
Cette
chronique © a été publiée dans le
N°131 daté de janvier-février 2008 de la revue
Défense. [1] Nous la
reproduisons ici avec l'autorisation de son
auteur,
Joël-François Dumont (*).
Paris, le 10 février 2008.
Pour détecter, identifier et
traiter les menaces qui apparaissent aujourd’hui sous des formes de plus en plus
diffuses, les armées se doivent de travailler en temps réel. Pour cela, elles
ont dû adapter leur outil de renseignement en mutualisant tout ce qui pouvait
l’être au sein de la DRM et ont ensuite créé des services spécifiques aux
différentes armées pour répondre aux défis posés.
Les temps ont bien changé
depuis l’époque lointaine où renseignement rimait avec militaire et avec 2ème
Bureau. Avec l’avènement des nouvelles technologies qui ont démultiplié les
formes de renseignement technique et spatial, nous avons changé de dimension. La
première étape vers une mutualisation des moyens techniques et des hommes en
Interarmées avait donné naissance au Centre d’Exploitation du Renseignement
Militaire, le CERM ; la seconde avec la création de la DRM [2] chargée, en plus
d’un regroupement de moyens, d’être ouverte à l’international et de travailler
sur les sources ouvertes (RSO). Mais la spécificité de certains moyens (avions,
bateaux, blindés) et les milieux dans lesquels ils opèrent font que la DRM a
délégué aux trois armées le traitement de domaines spécifiques au sein de
petites structures propres afin de tirer davantage parti des porteurs ou de
matériels qu’ils sont seuls à mettre en œuvre dans leur milieu évolutif. C’est
ainsi que les trois armées ont chacune un service avec des personnels hautement
qualifiés : l’armée de l’air a créé le CRA, l’armée de terre le CERT et la
marine le CRMar pour répondre à des besoins très particuliers, dont les
résultats seront ensuite partagés, si nécessaire avec les directions, services
ou autres commandements concernés.
La marine n’a donc plus son
légendaire « 2ème Bureau » rue Royale. Ses besoins en matière de
renseignement ont conduit l’EMM à créer en 2005 le Centre de Renseignement de la
Marine. Installé à Brest dans les souterrains protégés de la Préfecture
maritime, le CRMar est commandé par le CF Stéphane Chanfreau, qui, avec cinq
autres officiers et cent vingt six personnes, civils et militaires, ont une
mission de veille océanique. 24H sur 24, ils surveillent quelques 10.000 navires
de guerre et 150.000 de commerce. Pour cela, le monde a été divisé en secteurs
géographiques : Pacifique, Océan indien, Méditerranée et Atlantique.

Le CF Stéphane Chanfreau,
commandant le CRMAR
Les premiers échanges se font
avec les Commandements de Zone Maritime ou de théâtre nationaux ou alliés dont
les unités à la mer et les patrouilles d’aéronefs permettent d’établir chaque
jour des « situations de surface », toute unité pouvant être amenée à tout
moment à être déroutée pour vérifier ou recouper des informations afin de les
rendre pertinentes. Depuis sa création, le CRMar s’est constitué une base de
données dans laquelle tout est méticuleusement enregistré. « 99% du traitement
des données est totalement automatisé ». Le chiffre énoncé par le CF Chanfreau
est rassurant. Ce qui l’est moins, c’est que le 1% restant peut représenter une
menace qui justifie à elle seule l’emploi de ses collaborateurs 24H sur 24. En
terme de menaces, les surprises sont rarement bonnes… Parmi les moyens, les
sources ouvertes sont naturellement privilégiées, Internet peut s’avérer utile
pour trouver quelques informations sur une société, un armateur mais plus
rarement sur la nature de ses cargaisons. Il est évident que ceux qui se livrent
à des trafics - et ils sont nombreux - profitant du fait que 80% des
approvisionnements se font par voie maritime se font le plus discrets possibles
et sont experts pour contourner la réglementation. Il y a toutefois des choses
qu’un navire ne peut pas dissimuler, c’est son immatriculation, son « IMO ».
Pour traiter ces navires en permanence où qu’ils se trouvent à la surface du
globe, le CRMar a mis au point un système baptisé « PHOTIMO ».

Document OTAN
Chaque personne au CRMar traite
en moyenne 800 à 1.000 données par jour. Les messages sont immédiatement « déformatés » pour
être reportés sur des cartes maritimes. L’obligation pour tous les navires de
commerce jaugeant plus de 300 tonneaux d’être équipés d’un système AIS, sortes
de transpondeurs, permet à distance de les interroger pour voir qui ils sont,
quelle est la nature de leur cargaison et leur destination finale. Il arrive que
certains les débranchent, mais il vaut mieux ne pas se faire prendre à ce petit
jeu, car une fois qu’un bâtiment est porté sur une liste noire, c’est pour
longtemps… Mais la fierté du CF Chanfreau est manifeste quand il explique que
« depuis Brest », il peut « suivre un navire qui mettrait en panne n’importe où
dans le monde », chose à priori qui peut être naturelle. Mais si ses hommes
venaient « à détecter des échos radars à ses côtés », il est clair qu’une alerte
serait immédiatement déclenchée avec les marines alliées pour vérifier s’il ne
s’agit pas d’un trafic d’armes légères ou de drogue. De même le report d’un
navire supposé filer 15 nœuds à l’heure passant le détroit de Gibraltar un lundi
matin que l’on retrouverait le lendemain devant les côtes sud-américaines serait
immédiatement suspect. Les bateaux jumeaux existent, mais pas encore ceux qui
filent à 150 nœuds…Autrement dit, « dés que les éléments confrontés avec nos
statistiques ne sont pas cohérents » explique le Commandant du CRMar, « nous
cherchons à recouper l’information » jusqu’à ce qu’une explication rassurante
émanant d’une source fiable permette de classer ce dossier.
Dire que la tâche est
gigantesque et que les moyens pour y parvenir sont limités à ceux d’un équipage
d’une frégate est une évidence. Pour faire face à toutes ces nouvelles missions,
la Marine a dû également former des spécialistes en imagerie satellitaire,
capables d’interpréter des renseignements de source image et se lancer dans une
entreprise de longue haleine en étroite coopération avec la DRM. Elle a aussi
soigné ses relations avec la marine marchande et su profiter des ressources
apportées par les réservistes volontaires de la Marine. Le suivi des navires,
même si un tiers seulement de ceux qui sont répertoriés sont à la mer, cela
représente 50.000 mouvements chaque jour, dont 1.000 pour la seule Méditerranée.
A ces missions s’ajoute le suivi
des missions traditionnelles de sécurisation de nos approches maritimes, de la
liberté de nos approvisionnements et de toutes les missions de service public
auxquelles la Marine est « conviée » à participer. Pour toutes ces raisons, le
CRMar est considéré aujourd’hui par les
services des autres marines comme le digne successeur du « 2ème
Bureau de la Marine » pour avoir donné tout son sens au « RIMAR ».
Joël-François Dumont
(*) Auditeur à l'Institut
des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) et rédacteur en
chef adjoint de la revue Défense.
[1] Numéro 131 daté de
février-mars 2008 de
Défense, revue bimestrielle de l'Union des Associations des Auditeurs de
l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN). Abonnements: BP
41-00445 Armées.
[2] Voir in Défense N°128
et 129.
Articles du même auteur parus dans la rubrique "Renseignement" de la revue
Défense :
|